Titre : La Société de la Fatigue
Auteur : Byung-Chul Han
Éditeur : PUF
Pages : 80
Année : 2024
ISBN : 978-2-13-085379-4
Byung-Chul Han dévoile dans ce court texte un changement de paradigme, le passage d’une société disciplinaire, où les contraintes sur l’individu se multiplient, à une société de la performance, où la contrainte sur l’individu ne vient plus de l’ordre social mais de l’individu lui-même. L’excès de travail et de performance est l’indice d’une exploitation du soi par lui-même, une auto-exploitation. La liberté individuelle devient contrainte pour maximiser le résultat de nos actions et de nos activités.
À rebours de l’accélération, de la précipitation, de l’hyperactivité, de la dispersion qui semblent caractériser notre époque, le philosophe nous montre comment de la fatigue peuvent naître la sérénité, l’attention, la guérison.
Figure majeure de la scène philosophique internationale, Byung-Chul Han est l’auteur d’une vingtaine d’essais, traduits dans le monde entier, dont notamment aux Puf La Société de transparence (2017), Amusez-vous bien ! (2019), L’expulsion de l’autre (2020), La Société palliative (2022) et Infocratie (2023).
AVANT-PROPOS À LA SIXIÈME ÉDITION.
Prométhée fatigué
Nous pensions que notre société moderne allait permettre de nous épanouir et nous libérer de toutes les contraintes externes. Byung-Chul Han nous démontre qu’il n’en est rien.
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La culture de la performance, au lieu de nous libérer, génère des conséquences fâcheuses pour les individus (burn-out, dépression, nervosité, hyper-activité, isolement…) et nous fait oublier l’essentiel, la nécessité de retrouver une fatigue fondamentale, source d’inspiration, de créativité, de sérénité.
Il est urgent de retrouver le plaisir de la contemplation, du temps long, des bienfaits de l’observation. Rééduquons chacun de nos sens pour apprécier la richesse de l’environnement qui nous entoure, et apprenons à cultiver notre négativité. Dans cette optique, je vous invite à explorer notre petit manifeste pour une harmonie technologique.
Chaque époque a ses maladies essentielles. Sous l’angle pathologique, on a ainsi connu une ère bactérienne (qui s’est achevée avec l’invention des anti-biotiques), une ère virale (dépassée à l’aide de la technique immunologique) et nous entrons aujourd’hui dans une ère neuronale (p.9). Le philosophe réfute l’idée que la lassitude, l’épuisement et l’étouffement face à l’excès sont des réactions immunologiques mais relèvent plutôt d’une force, d’une violence neuronale. Cette violence neuronale est systémique, immanente au système dans lequel nous vivons. (p.21)
La société d’aujourd’hui n’est plus une société disciplinaire composée d’hôpitaux, d ‘asiles de fous, de prisons, de casernes et d’usines mais une société de performance, avec ces studios de remise en forme, de tours de bureaux, de banques, d’aéroports, de shopping malls et de laboratoires génétiques (p.23). Cette société de performance prend ses distances avec la négativité et préfère le projet, l’initiative, la motivation à l’interdiction, le commandement ou la loi. Alors que la société disciplinaire produisait des fous et des criminels, celle de performance produit des dépressifs et des ratés. (p.24). « La positivité du pouvoir est beaucoup plus efficace que la négativité du devoir » et permet d’entrevoir de nouveau gains de productivité. Mais cet impératif de performance à des conséquences fâcheuses (syndrome du burn-out, dépression par épuisement). Libéré de toute contrainte extérieure, le sujet s’abandonne à la liberté contraignante pour maximiser la performance.
L’hyper-attention et le multitasking ont remplacé dans nos sociétés l’attention et la contemplation profondes. Ces formes d’attentions dispersées qui ne tolèrent pas l’ennui impactent notre processus créatif, notre faculté contemplative, nos performances culturelles et génèrent nervosité, frétillement… (p.34).
L’auteur critique ici le traité Vita Activa d’Hannah Arendt qui prône les qualités d’une vie active au détriment d’une Vita Contemplativa. Hors, la perte de la faculté contemplative, liée notamment à l’absolutisation de la vita activa, a sa part de responsabilité dans l’hystérie et la nervosité de la société moderne, poussée par la volonté compulsive de maintenir une vie pure et simple dans un état de bonne santé absolue. (p.44).
Pour Nietzsche, trois tâches nécessites de l’éducation, voir, penser, parler & écrire.
voir – habituer l’œil au calme, à la patience, à laisser les choses venir à lui, c’est-à-dire lui donner la capacité de l’attention profonde et contemplative, et éviter répondre à chaque impulsion et chaque stimuli,
pensée – la puissance négative, c’est à dire la puissance de dire non, qui permet d’éviter une hyperactivité qui ne tolèrerait plus l’action libre mais deviendrait mortelle.
L’auteur reprend l’histoire de Bartleby, anti-héro dans le récit de Herman Meleville, qui petit à petit et à force de refuser toute tâche (« I would prefer not to) », dans l’étude notariale dans laquelle il travaille, devient victime lui-même d’une société disciplinaire qui l’isole et l’éteint.
La société de performance, en tant que société active, évolue lentement vers la société du dopage. Les neuro-enhancers pourraient augmenter la concentration d’un chirurgien pendant ses opérations réduisant le risque d’erreur. (p.69). Cette évolution faisant du corps une machine à performance censée fonctionner sans perturbation. Ce sont les caractéristiques d’un monde pauvre en négativité et dominé par un excédent de positivité. « L’outrance dans l’intensification de la performance provoque l’infarctus de l’âme ». La fatigue de la société de performance est une fatigue en solitaire qui produit un effet individualisant et isolant. Peter Handke dans son Essai sur la fatigue indique que de telles fatigues consument notre capacité de parler, notre âme. Elles nous contraignent à rester sans voix, obligeant à la violence. Une fatigue qui détruit le monde. (p.72). A l’opposé, il définit une fatigue fondamentale, qui elle inspire, source d’une certaine sérénité, qui ouvre l’accès à une attention toute particulière, aux formes longues et lentes qui se dérobent à l’hyper-attention courte et rapide.