La lecture pour le plaisir est un antidote majeur à l’émergence du « crétin digital ». Des centaines d’études montrent le bénéfice massif de cette pratique sur le langage, la culture générale, la créativité, l’attention, les capacités de rédaction, les facultés d’expression orale, la compréhension d’autrui et de soi-même, ou encore l’empathie, avec, in fine, un impact considérable sur la réussite scolaire et professionnelle. Aucun autre loisir n’offre un éventail de bienfaits aussi large. À travers la lecture, l’enfant nourrit les trois piliers fondamentaux de son humanité : aptitudes intellectuelles, compétences émotionnelles et habiletés sociales. La lecture est tout bonnement irremplaçable.
Michel Desmurget montre que nos enfants lisent de moins en moins, rejette l’idée qu’un écolier sait lire quand il sait déchiffrer et rappelle que lire c’est comprendre. Enfin, tout en reconnaissant l’importance de l’école, il souligne le rôle essentiel du milieu familial pour susciter puis entretenir le goût de la lecture chez l’enfant.
Ce premier ouvrage de synthèse grand public livre des informations capitales, pour les parents notamment, sans jamais les culpabiliser.
Passionnant et puissamment salutaire !
Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont le best-seller La Fabrique du crétin digital (Seuil, 2019 ; Points, 2020).
Avant-propos. Lire pour le plaisir
Première partie
LA LENTE AGONIE DE LA LECTURE
1. Des livres avant de savoir lire
2. L’enfant lecteur
3. Des performances alarmantes
Deuxième partie
L’ART DE LIRE
4. « Notre cerveau n’est pas fait pour la lecture »
5. Notre cerveau est façonné pour apprendre
Troisième partie
LES RACINES DE LA LECTURE
6. Préparer le cerveau
7. Bâtir les fondations verbales
Quatrième partie
UN MONDE SANS LIVRES
8. Ce que l’humanité doit aux livres
9. Le potentiel unique du livre
Cinquième partie
DES BÉNÉFICES MULTIPLES ET DURABLES
10. Construire la pensée
11. Développer les aptitudes émotionnelles et sociales
12. Bâtir l’avenir
Épilogue. Faire de l’enfant un lecteur
Postface. Une prise de conscience
Annexes
Notes bibliographiques
Remerciements
Index
Nombre de pages
576
Langue
Française
Année de publication
2023
Éditeur
Points
ISBN
979-104-141497-0
Michel Desmurget est un amoureux inconditionnel des livres. Immergé dans la librairie-papeterie rachetée par ses parents dans l’après-guerre, les livres auront se pouvoir de l’accompagner et nourrir [son] enfance tout en lui offrant ce petit supplément d’âme et de réussite scolaire ! (p.389).
Dans cet éloge du livre, Desmurget nous confirme avec brio ce que nous pressentions sur les bénéfices considérables de la lecture, en s’appuyant sur un nombre considérable d’études et d’analyses pour appuyer son propos.
La lecture structure la pensée de l’enfant, participe à son développement cérébral et le construit dans ses dimensions intellectuelle, émotionnelle et sociale. Rien de moins.
L’auteur nous partage de très nombreux chiffres. Parmi ceux qui m’ont marqué, on apprend que les sept tomes de la série Harry Potter comptent 1,12 millions de mots (dont 22 400 inconnus). A raison de vingt minutes de lecture par jour, il faudra neuf mois à un jeune lecteur pour en arriver à bout. On y apprend également que les réécritures de certains classiques enfantins comme le Club des Cinq, se concrétisent par des éditions plus courtes et comprennent 40 % de lexique en moins, afin de ne pas accabler le lecteur d’aujourd’hui. Consternant.
Sans tomber dans le piège de la moralisation des parents – ce qui, à la vue de la situation dramatique dans laquelle nous sommes pourrait se comprendre – il nous partage des activités (lecture partagée), des techniques (questionner, interagir, jouer avec les mots, stimuler) et des conseils pratiques (placer des livres à disposition, partout) pour mettre nos enfants dans les meilleures dispositions pour réussir et échapper à ce que Olivier Babeau appelle la tyrannie du divertissement. Il faudra également lutter contre la lessiveuse digitale qui épuise la vie de nos enfants. Rien n’est irrémédiable et à chacun de nous de transmettre le plaisir de lire à nos progénitures tout en résistant aux tentations des sucreries digitales. L’attention de nos enfants est trop précieuse, protégeons-là.
Si je devais résumer la thèse de ce livre, pour mettre nos enfants dans les meilleures conditions et les préparer à une vie épanouie, riche émotionnellement, socialement et culturellement, faisons-les lire !
Depuis l’émergence du langage, l’humanité n’a rien inventé de mieux que la lecture pour structurer la pensée, organiser le développement du cerveau et civiliser notre rapport au monde ; le livre construit littéralement l’enfant dans sa triple composante intellectuelle, émotionnelle et sociale.
Ainsi, entre 15 et 28 ans, 84 % des individus nés entre 1945 et 1954 lisaient au moins un livre par an (hors bandes dessinées). Ce pourcentage n’était plus que de 58 % chez les désormais nommées milléniaux (nés entre 1995 et 2004). Pour les bandes dessinées, ces chiffres s’établissaient respectivement à 59 % et 39 %. Concernant les lecteurs assidus (au moins vingt livres par an, hors BD), la proportion est passée de 35 % à 11 %, avec une chute significativement plus marquée chez les garçons (38 % à 8 %) que chez les filles (33 % à 14 %) et chez les plus jeunes que chez les anciens. Sur ce dernier point, il apparaît qu’en 1973 la proportion de lecteurs assidus était deux fois plus élevée chez les 15-24 ans que chez les 60 ans […] Si nos ados offraient chaque jour à la lecture la moitié du temps qu’ils consacrent à leurs jeux vidéo et contenus audiovisuels (téléréalité, séries, films, etc.), ils pourraient lire chaque année autour de cent vingt romans moyens ou une grosse cinquantaine de pavés tels que Germinal, Le Capitaine Fracasse ou Notre-Dame de Paris. (p.51)
Bref, le déclin de la lecture n’a rien d’un conte alarmiste et tout d’une réalité avérée. Mais comment s’en étonner ? Le temps est une denrée restreinte. Il a bien fallu compenser la folle croissance du numérique récréatif. Toutes ces heures offertes à Netflix, Fortnite et TikTok ne son pas tombées du ciel. Elles ont été extorquées à d’autres activités, dont le sommeil, les interactions intrafamiliales, les devoirs scolaires et naturellement, nous en avons parlé, la lecture. Ce qui aurait été miraculeux, c’est que cette dernière sorte indemne de la lessiveuse digitale qui depuis trente ans épuise une part toujours plus importante de la vie de nos enfants. (p.53)
Ça peut vous intéresser :
On ne peut s’empêcher de faire le lien avec la récente réécriture, en France, de certains ouvrages emblématiques dont le fameux Club des Cinq. Comme je l’ai montré dans un précédent livre, le moins que l’on puisse dire c’est que l’éditeur a fait tout son possible pour ne pas accabler le lecteur. Un chapitre pris au hasard dans Le Club des Cinq et le trésor de l’Île a ainsi vu son passé simple disparaître au profit du présent, alors que les phrases se raccourcissaient de 15 % et la richesse lexicale de 40 %. Juste un exemple. Alors que l’une des premières pages de la version française d’origine, parue en 1962, indiquait : « Ne vous désolez pas d’avance. Nous trouverons bien quelque autre endroit où vous envoyer et où vous vous amuserez autant » ; l’homologue de 2006 énonçait niaisement : « ne faites pas cette tête ». (p.83)
Lorsqu’un roman est interprété au cinéma, qu’est-ce qui se perd dans le transfert ? La réponse est assez simple : « le film utilise moins de mots polysyllabiques complexes […]. Le film possède moins de diversité lexicale […]. Le film réduit la complexité des dialogues, de l’intrigue, des personnages et du sujet. » Là encore, cela ne veut pas dire que l’image est dénuée de fertilité et que le cinéma constitue un art secondaire. Cela signifie juste que la transition de l’écrit vers l’écran appauvrit grandement la richesse linguistique des œuvres. (p.157)
La phrase suivante, tirée de l’album enfantin Les P’tites Poules (dès 3 ans) est du même acabit : « En route pour Paris, l’illustre Coquelin et sa troupe de comédiens ont fait halte au poulailler. » La formule s’appréhende aisément au premier degré, mais de manière incomplète par derrière « l’illustre Poquelin », Jean-Baptiste de son prénom, dit Molière, qui a lui aussi écumé pendant des années les salles de province avant de rencontrer le succès à Paris. Impossible de transmettre le clin d’œil à l’enfant (évidemment trop petit pour saisir seul la subtilité), si le lecteur adulte n’a pas de trace du couple Molière/Poquelin dans son stock de culture générale.
Prenons un autre exemple, la bande dessinée Asterix chez les Belges qui s’adresse aux jeunes et moins jeunes. Tandis qu’une bataille décisive se prépare, l’un des personnages s’attable et se voit apporter un plat qui visiblement n’enchante guère ses papilles. L’air contrit, il déclare « Waterzooie ! Waterzooie ! Waterzooie ! morne plat ! » Ceux qui savent que le waterzooï est un plat traditionnel flamand pourront interpréter l’expression selon ce sens étroit. De même, ceux qui ont entendu parler de la bataille de Waterloo seront capables de déceler une référence historique amusante et ce d’autant plus qu’ils connaissent ce célèbre vers de Victor Hugo : « Waterloo ! Waterloo ! Waterloo, ! morne plaine. (p.179)
Pour une majorité de parents, la lecture partagée est une tâche hiérarchique : l’adulte lit, l’enfant écoute. Malheureusement, ce genre de fonctionnement est globalement peu efficace. L’enfant n’en tire, au mieux, comme l’illustre l’expérience présentée ci-dessus, qu’un bénéficie marginal. Cela signifie que l’important, quand on parle de lecture partagée, ce n’est pas la lecture mais le partage. La littérature scientifique est unanime sur ce point. Pour tirer profit de l’aventure, l’enfant a besoin d’être actif. Il a besoin d’engager pleinement son attention, sa curiosité, ses émotions, son intellect. Il a besoin qu’on l’interroge, qu’on le pousse à réfléchir, à montrer, à questionner, à expliquer et, finalement, à s’exprimer. (p.246)
Ces processus de stérilisation de la pensée, plusieurs romans les ont explorés avec une glaçante acuité. Ainsi, Fahrenheit 451, publié en 1953, décrit une société cauchemardesque dans laquelle les livres sont systématiquement brûlés afin d’étouffer toute velléité d’intelligence et de réflexion ; une société du divertissement, saturée d’écrans, gavée de somnifères, emplie de solitude, dominée par l’immédiateté, exposée à un matraquage médiatique constant et, au final, comme attendu, peuplée de zombis décérébrés, serviles et moutonniers. Et que dire de 1984, ouvrage saisissant paru en 1949, qui, d’une plume tranchante, décrit un univers brutalement opprimé, assujetti à une surveillance omnisciente, soumis à une mutilation continue du réel, spolié de sa mémoire et dépossédé du langage ? Un univers sans racines, dans lequel « tous les documents ont été détruits ou falsifiés, tous les livres réécrits, tous les tableaux repeints ». […] Une restriction que l’on retrouve dans Le Meilleur des mondes, monstrueuse anticipation de 1932 qui voit une petite caste érudite, génétiquement triée, asservir un veule troupeau amorphe, intellectuellement amputé, rassasié de vains amusements, privé d’émotions par la force d’une drogue artificielle et incapable de ressentir l’horreur d’une servitude qu’il finit par chérir.(p.272)
Chaque mois, nous décryptons l’actualité tech et son impact sur notre vie privée.
Enfin, et surtout (!), nos bons vieux bouquins ignorent la désuétude. Placés dans un endroit à peu près sec et sombre, ils se conservent quasiment sans limite. Chaque enfant peut ainsi aisément, à vingt, trente ou cent ans de distance, explorer la bibliothèque de ses aînés. Il peut, sans contrainte, parcourir cet univers littéraire qui le rattache à ses racines. Il peut s’y promener, s’y insérer, s’y. perdre. Il peut s’y absorber jusqu’à rencontrer, parfois, un aïeul inconnu qui, au cœur d’un jeu de piste imprévu, a laissé ici, entre deux pages, une lettre oubliée, et là, dans un coin de marge, un fragment d’émotion manuscrite. C’est un bonheur qui souvent me fut offert et que je souhaite à tous les enfants. (p.286)
Là se trouve du reste une pierre d’achoppement majeure entre les réalités neuroscientifiques et les thèses du sociologue Pierre Bourdieu. Les classes dominantes ne se reproduisent pas parce qu’elles imposent un code culturel arbitraire à l’institution scolaire. Elles se reproduisent parce que leurs pratiques éducatives sont, et de très loin, les plus favorables à l’édification cognitive, émotionnelle et social de l’enfant. (p.323)
Des écoliers ayant grandi dans un foyer doté d’une large bibliothèque totalisent trois ans d’études supplémentaires, en comparaison d’individus socio-économiquement équivalents, élevés dans une maison sans livres. (p.375)
Les livres, principalement les livres de fiction, ont sur le développement du vocabulaire, de l’orthographe et des compétences en lecture un impact unanimement et fortement positif ; avec là encore des gains supérieures pour les sujets initialement les mieux dotés. L’influence des journaux oscille entre « bénéfique » et « sans effet ». L’action des bandes dessinées hésite pour sa part entre « nul » et « délétère ». (p.324)
Prenons la série des Harry Potter. Ses différents tomes sont souvent recommandés dès 8-9 ans. Une analyse du langage utilisé suggère cependant que c’est un peu tôt pour la plupart des jeunes de cet âge. Seuls les 6% d’enfants les plus avancés possèdent alors les compétences nécessaires pour s’en tirer sans trop de difficultés ; ce qui veut dire qu’ils maîtrisent autour de 98% du vocabulaire employé, soit les 6 000 mots les plus courants. À raison de vingt minutes quotidiennes, pour une vitesse de 210 mots lus par minute, nos heureux élus avaleront le 1,12 million de termes des sept tomes de la série en moins de neuf mois. Ils croiseront alors 22 4000 mots inconnus (2 %), dont 1 120 seront appris (5 %). (p.329)