
Docteure en sciences et entrepreneure, Aurélie Jean est une des figures de la science algorithmique. Elle est auteure, aux Éditions de l’Observatoire, de plusieurs essais dont De l’autre côté de la Machine, Les algorithmes font-ils la loi ? et Data & Sport. La révolution (avec Yannick Nyanga), et d’un roman d’anticipation, Résistance 2050 (avec Amanda Sthers).
There is no romance in Manhattan
Lexique
Remerciements
Nombre de pages
256
Langue
Française
Année de publication
2024
Éditeur
Éditions de l'Observatoire
ISBN
979-10-329-32520
Les algorithmes se sont immiscés dans tous les secteurs de notre société. Ils affinent nos playlists Spotify, ils orchestrent nos réseaux d’information, ils agissent comme des vecteurs de propagation, ils déterminent quel livreur viendra nous apporter notre diner Uber Eat ou notre commande Amazon,
Les algorithmes nous promettent un monde parfaitement optimisé, hybridé, avec des systèmes de traitement de données en veille permanente, capable de prédire nos moindre désires.
Dans Le Code a changé, Aurélie Jean nous invite à mieux comprendre comment la science algorithmique intervient dans nos vies quotidiennes. Et quels leviers d’action nous avons à notre disposition pour en tirer profit tout en nous protégeant des menaces.
L’auteure nous aide à comprendre ces nouveaux codes amoureux qui se dessinent à l’aube des évolutions algorithmiques des outils que nous utilisons quotidiennement. Perte de notre agapè causé par un monde de plus en plus autocentré à-même de mettre en péril notre cohésion sociale et l’origine de notre humanité… mais également l’opportunité de rencontrer davantage de personnes, parfois très différentes de nous.
Aurélie Jean a beau être une experte en science algorithmique, elle n’en demeure pas moins humble dans on usage des applications de rencontre en se rappelant régulièrement la présence d’algorithmes qui servent un modèle économique avant de servir l’humanité…
Il en va des algorithmes comme de la technologie en générale : mieux connaître leur fonctionnement, ce n’est pas nous soumettre à la machine, au contraire, c’est apprendre à tirer parti des possibilités qu’ils nous offrent, et à en éviter les pièges. Et Aurélie Jean de conclure qu’il est plus que nécessaire d’apprécier le temps présent et le plaisir de demain tout en prêtant une attention particulière à la valorisation du contact physique et des mots glissés à l’oreille. Cela constituera certainement les attitudes communes à une nouvelle génération qui n’aura pas grandi dans ces codes plus anciens. La joie sera aussi l’expérience heureuse vécue dans ce monde sensible qui fait de nous des âmes incarnées, et de nos relations avec l’autre (même intermédiées par des algorithmes) de véritables aventures humaines.
Podcast à retrouver sur le site de La Tech à l’Envers, le média qui explore l’envers de la Tech pour en développer un usage éthique et éclairé.
Nos comportements ont changé en lien avec les évolutions de notre société – notamment avec la place croissante prise par la technologie. Quand on parle d’amour aujourd’hui, on est dans l’obligation d’intégrer dans l’équation la science numérique et les nouvelles technologies. (p.15)
Mieux connaître le fonctionnement des algorithmes, ce n’est pas nous soumettre à la machine, au contraire : c’est apprendre à tirer parti des possibilités qu’ils nous offrent, et à en éviter les pièges. Pour être humains et plus heureux – malgré la machine, et grâce à elle. Une chose est certaine, le code a changé. (p.21)
En 2018, une équipe de recherche américaine a analysé soixante-deux études qui, toutes, montrent une augmentation du narcissisme chez les utilisateurs de réseaux sociaux. Les algorithmes sous-jacents à ces réseaux prennent part à ce jeu de miroir grossissant sur nous-mêmes, qui déplace alors notre amour de l’autre vers nous-mêmes. (p.60)
L’algorithme de matching est un algorithme de recommandation certainement hybride, c’est-à-dire qu’il possède une composante explicite, fondée sur des règles définies explicitement par les concepteurs, et une composante implicite d’entraînement. La composante explicite s’appuie par exemple sur les caractéristiques statistiques de votre profil, telles que votre genre ou votre âge, ainsi que ce que vous recherchez chez l’autre. L’algorithme ne vous suggérera pas un homme de moins de 25 ans si vous êtes à la recherche d’une femme de plus de 40 ans. Votre géolocalisation est également utilisée pour permettre à algorithme de ne pas envoyer les flèches de Cupidon n’importe où. La composante algorithmique implicite, quant à elle, va considérer votre comportement dynamique sur l’application, en identifiant les types de profils que vous avez tendance à valider, ainsi que les profils de ceux ou celles qui ont tendance à vous liker. Le comportement dynamique inclut également la nature des contenus que vous postez, comme il est possible de le faire sur l’application de rencontre Hinge.[…] (p.80)
La cristallisation algorithmisée influence aussi notre rapport aux autres dans la vraie vie, loin de tout algorithme. Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’une collecte toujours plus importante de nos données à caractère personnel, combinée à des services toujours plus personnalisés, nous éloignait de l’amour de l’autre, agapè, en pesant que le bonheur ne passe que par nous-mêmes, individuellement. La cristallisation enclenchée et entretenue par l’exécution d’algorithmes toujours plus avancés nous en éloigne encore davantage en portant à chaque occasion un peu plus notre attention sur nous-mêmes. (p.116)
EN 2017, 35% des contenus téléchargés sur Internet aux États-Unis sont à caractère pornographique et massivement consommés par des hommes ; en 2004, les sites internet majoritairement visités par les Américaines sont des sites de shopping et de santé ; en 2022, près de 92% des développeurs du Web dans le monde sont des hommes ; aux États-Unis, près de la moitié des développeurs ont entre 30 et 40 ans et 4,4% sont noirs, et depuis 2020 seuls 15% des contenus crées sur Wikipédia l’ont été par des femmes. (p.140)
Mais comprendre l’effet ELIZA et ses conséquences est un moyen de réfléchir aux lois qui doivent encadrer le développement de ces outils, ou encore de mieux se positionner en tant que consommateur de ces technologies. Comme interdire un design anthropomorphique destiné à la manipulation cognitive ou encore imposer une transparence dans la communication à destination des utilisateurs, à qui est régulièrement rappelé qu’ils interagissent avec un outil algorithmique, une « simple » machine. (p.176)
La présence d’un corps biologique est l’argument qui me manquait pour réussir à le convaincre. La métacognition, qui est le fait d’avoir une activité mentale sur ses propres processus mentaux et qui est la base de la conscience de soi, de l’acquisition du savoir et donc de l’apprentissage, est aussi un élément déterminant qui n’existe qu’à travers l’incarnation. L’algorithme, même embarqué dans un robot, est désincarné. Il reste donc privé d’émotions. Voilà qui contredit la théorie de la singularité technologique, qui fait l’hypothèse de l’existence dans un futur plus ou moins lointain d’un point de basculement à partir duquel les machines – ou les algorithmes embarqués) auront conscience de leur existence. (p.182)
Ces recommandations sont sources de dopamine, une des quatre hormones du bonheur, et c’est pourquoi nous désirons ces réseaux sociaux sans même en prendre conscience. Le sociologue français Dominique Boullier parle de « propagation du désir sur les réseaux sociaux », qui constitue selon lui une par importante de nos vies sociales, économiques et culturelles. Il y a bien une triangulation qui s’opère lorsqu’on utilise ces réseaux mais pas nécessairement celle à laquelle on pense. (p. 187)
Plusieurs études empiriques démontrent la large préférence pour les messages instantanés pour des raisons d’efficacité grâce au gain de temps, mais aussi pour ne pas s’exposer en évitant de se dévoiler dans une conversation en direct. Et pourtant, une étude de 2021 conduite par des chercheurs de l’université de Chicago démontre l’importance de se parler à haute voix pour créer du lien et faire des choix de manière plus éclairé sur les individus et les situations. Et donc sortir d’un possible flou porté par la communication textuelle seule. (p.191)
Connexion, interconnexion, immersion : les auteurs de The Inverdsion Factor s’intéressent surtout aux effets de ces trois étapes sur les entreprises et sur les consommateurs (lequel devient alors un collaborateur consentant et éclairé), mais on peut aller plus loin en suggérant que ces étapes influencent notre rapport à nous-mêmes et aux autres dans une société dont les codes s’adaptent à mesure que l’immersion grandit. Aujourd’hui, alors que nous sommes déjà passés aux deux premières étapes, nous entrons progressivement dans la phase d’immersion. Dans les étapes de connexion et d’interconnexion, nous avons conscience de la présence de ces objets (visibles) et nous décidons de les actionner. Mais dans l’étape immersive, ces mêmes objets acquièrent une sorte d’indépendance qui nous fait oublier leur présence et donc le fait qu’ils fonctionnent grâce à nos données. (p.200)