Notre temps de cerveau se monnaye sur Internet : à l’ère des contenus personnalisés, de la publicité ciblée et des agents conversationnels, sommes-nous devenus des biens consommables dans le marché de l’attention ?
Les plateformes peuvent-elles nous manipuler pour orienter nos décisions ?
La captation de notre attention n’est pas seulement un risque personnel pour notre temps, nos enfants ou notre argent. C’est aussi une menace démocratique : les libertés et le vivre-ensemble sont compromis par des logiques sournoises qui nous épuisent, polarisent les points de vue et appauvrissent notre expérience du monde.
Ce livre décrit en détail les ressorts cognitifs et psychosociaux utilisés par les algorithmes et le marketing digital pour nous cerner, nous orienter, nous soustraire des données contre notre gré… avec un cadre légal à repenser.
Quatre chercheurs croisent les apports des sciences cognitives, du design, de la philosophie et du droit pour proposer
une véritable régulation de la question attentionnelle
dans le monde numérique.
Introduction
PREMIÈRE PARTIE : Problématisation et enjeux de l’économie de l’attention
CHAPITRE 1 – De l’attention psychologique à l’attention conjointe
CHAPITRE 2 – L’attention comme phénomène social
CHAPITRE 3 – L’attention et ses vulnérabilités
CHAPITRE 4 – Le design et son effet sur l’attention
CHAPITRE 5 – Pourquoi le marketing s’intéresse à l’attention ?
CHAPITRE 6 – Économie de l’attention
CHAPITRE 7 – L’attention, la technique et l’expérience humaine
DEUXIÈME PARTIE : Reprendre le contrôle de notre attention
CHAPITRE 8 – Quel contrôle ? Réflexivité, liberté et espace public
CHAPITRE 9 – Quelle régulation pour reprendre le contrôle de notre attention
CHAPITRE 10 – Interdire certaines contraintes techniques déviantes
CHAPITRE 11 – Identifier la contrainte technique, la comprendre et en débattre
CHAPITRE 12 – Redonner le contrôle à l’utilisateur : droit au paramétrage et automatismes
CHAPITRE 13 – Favoriser et promouvoir des pratiques d’attention conjointe
CHAPITRE 14 – Agir collectivement
Conclusion
Postface
Notes
Remerciements
N’avons-nous pas tout dit sur l’attention et son économie numérique dont les principaux architectes, Google et Facebook et autres réseaux sociaux, usent et abusent au détriment de leurs utilisateurs ?
L’ouvrage « Pour une nouvelle culture de l’attention » réussi le tour de force d’innover en apportant de nouveaux concepts, un éclairage singulier et une mise en perspective originale de cette thématique. La pertinence de l’ouvrage tient selon moi beaucoup au traitement du sujet par une approche pluridisciplinaire. En effet, écrit à huit mains, cet ouvrage propose d’étudier l’attention au travers d’une perspective unique (et non quatre perspectives additionnées) nourrie par la philosophie, anthropologie numérique, la sociologie, les sciences cognitives et le droit.
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De nombreux concepts permettent de mieux comprendre les mécanismes en lien avec l’attention, tel que l’agentivité ou la réflexivité.
L’ouvrage propose d’interdire certaines contraintes techniques déviantes comme les interfaces truquées, les bad sludges et les designs volontairement addictifs (autoplays, notifications constantes, A/B testing, défilement infini) qui transforment les réseaux sociaux en pompes à dopamine. Il prône l’émancipation des utilisateurs du numérique et propose des pistes de réflexions pour redonner le contrôle à l’utilisateur : nouvelles architectures web et nouveaux designs, boosts, indicateurs, mécanisme de friction, paramétrage… on pourrait y ajouter la résistance aux algorithmes.
A l’instar du Bug Humain ou d’Apocalypse Cognitive, un ouvrage extrêmement intéressant pour toutes les personnes qui souhaitent questionner leur usage du numérique et s’interroger sur sa capacité à réguler son attention et réfléchir à son propre usage des outils numériques dans un objectif de méta-cognition.
Comme le soulignait déjà au XIXe siècle le fondateur de la psychologie expérimentale William James, l’attention volontaire est un processus qui demande de l’effort et qui produit de la fatigue […] C’est donc une ressource limitée qu’ « il faut protéger […] protéger des pensés rivales […] se focaliser pour permettre de soutenir des activités mentales difficiles lorsque nous sommes en présence de potentiels distracteurs ». (p.26)
Celui-ci est très sollicité par les dispositifs numériques, qui produisent souvent une succession rapide de stimuli visuellement saillants. Ce mécanisme consiste en une analyse superficielle et donc très rapide des stimuli, de façon à en éliminer la plupart pour ne retenir qu’un certain nombre qui devra faire l’objet de notre attention pour être analysés plus longuement. (p.34)
Correspond à la capacité à agir sur le monde, donc à produire des effets causaux sur lui par nos propres actions […] Un enfant en bas age va comprendre que bouger ses bras devant son visage produit un mouvement visible, pousser un objet le déplace, toucher certains objets produit un son, sourire éclanche un sourire en retour. Cet apprentissage est essentiel pour acquérir la capacité à agir de manière orientée vers un but. Patrick Haggard, spécialiste de l’agentitivé, considère qu’elle est, avec l’intention, un ingrédient central de l’action volontaire (qui s’oppose à l’action involontaire, donc aux automatismes comme les comportements déclenchés par association stimulus-réponse). Pour que l’action volontaire puisse se produire, il faut que l’agent se sente en contrôle de ses actions et qu’il connaisse les effets probables de ses actions, donc qu’il ait un sentiment d’agentivité. Tout l’enjeu est donc de retrouver un sentiment d’agentivité dans nos interactions avec les interfaces numériques. (p.38)
Le monde numérique offre en effet des possibilités démultipliées de capter note attention, de l’interrompre, de la recapter. La multiplication des stimuli suscite alors de l’effort pour résister au distracteurs ; le rythme de captation systématique de l’attention ne laisse pas assez de temps pour la restaurer entre deux efforts cognitifs successifs (i.e. restaurer nos capacités attentionnelles) (p.49)
Le psychologue Stephen Kaplan précise que la nature joue un rôle générant sur l’attention car : 1/ permet de s’échapper, de s’éloigner au moins en principe des situations fatigantes pour libérer l’activité mentale qui requiert de l’attention volontaire; 2/ parce qu’elle suscite une notion d’étendue, de quelque chose de plus grand que soi ; 3) mais, pour que la nature ait un effet positif sur l’attention, il faut qu’elle suscite de la fascination ; 4) et enfin, il doit y avoir une compatibilité au moins temporaire entre l’environnement naturel auquel l’on est exposé et les objectifs et désirs de l’individu. (p.51)
Dans certains cas, les activités numériques conduisent à renforcer les relations sociales : nous savons par exemple que l’intensité des échanges sociaux en ligne s’accompagne d’une plus grande socialisation en présence (D. Millet et All, 2016)
L’OCDE, dans son rapport en 2022 sur les dark patterns commerciaux met en garde contre les nombreuses façons dont les interfaces manipulent les consommateurs par le design […] Les exemples donnés incluent les dispositifs qui cherchent à forcer le consommateur à faire quelque chose avant d’accéder à la fonctionnalité recherchée comme s’inscrire, ou le contraignent à divulguer plus d’information personnelles que souhaité. D’autres exemples concernent le harcèlement par des demandes répétées de faire quelque chose de favorable à l’entreprise, l’obstruction visant à rendre le déroulement d’une tâche ou d’une interaction plus difficile qu’il n’est nécessaire, ou l’imposition d’un sentiment d’urgence par des limites temporelles ou quantitatives (exemple : deux personnes sont en train de regarder ce produit ou il ne reste plus qu’un exemplaire de ce produit…) (p.68). voir également les proposition de l’European Data Protection Board de l’UE sur les interfaces truquées. Voir également l’expérience de la DGCCRF sur les mécanismes de captation de l’attention.
De nombreux nudges sont mis en place pour influencer de façon inconsciente et automatique nos comportements, par opposition à des situations qui apportent des indices épistémiques (c’est-à-dire qui aident à comprendre), permettant à l’usager de délibérer consciemment avant de décider […] Une alternative aux nudges repose sur la méthode appelée boost. Elle consiste en des interventions et outils cognitifs (par exemple, ajout d’indices informationnels visibles) visant à favoriser les compétences cognitives et motivationnelles des utilisateurs. L’idée du boost s’oppose au nudge en cela qu’il vise à préserver l’autonomie décisionnelle des utilisateurs en les rendant plus réflexifs et conscients à l’égard des choix qu’ils font. Par exemple, redesigner les environnements numériques en ajoutant des indices de qualité épistémique de l’information (p.82)
Des interventions technologiques cognitivo-inspirées dans les architectures informationnelles (par exemple, introduire de la friction dans le partage de contenus offensants). (p.83)
Dans le monde numérique se traduit principalement de trois façons : elle attise nos comportements les plus automatiques, elle les enrégimente de façon à développer en nous une discipline attentionnelle qui influence notre rapport au monde ; elle formate et restreint nos capacités de perception et d’interactions. (p.123)
Éléments internes (nos comportements, nos routines de pensée), externes (les mécanismes de l’interface, ses propriétés, les intentions derrière les contenus) et collectifs (partage d’information, communautés d’échanges, procédures de vérification) qui favorisent chez l’utilisateur une prise de recul. D’une part via des temps d’analyse de son propre comportement, de ses propres pensées (métacognition = quels sont les buts que l’individu se fixe mentalement ?). Ce recul et ces temps d’analyses peuvent avoir lieu pendant ou après l’usage. L’utilisateur est-il satisfait de sa façon d’interagir avec les interfaces, du temps qu’il y passe? […] D’autre part, un recul vis-à-vis du dispositif qu’il a face à lui (quelles sont les intentions des concepteurs ? Quelles sont ses possibilités d’agir sur l’interface et de la paramétrer ?…) […] Enfin un recul à l’égard du comportement et des intentions des autres utilisateurs afin de favoriser la collaboration, l’attention conjointe, le dialogue et le débat constructif (p.125)
Ne pas se contenter de ralentir, mais introduire des mécanismes déjouant les automatismes, par exemple en ajoutant des étapes de confirmation avant de repartager une information. Exemple : « êtes-vous sûr d’avoir bien vérifié la véracité de cette information avec de la partager ? « , l’utilisateur restant in fine libre de procéder au partage ou non. (p.127). Voir « Données et Design » de la CNIL et la notion de « frictions désirables ».
Ces outils (i.e. temps d’écran, etc.) paraissent ni suffisants ni adaptés. Tout d’abord car ils « mettent l’accent sur la responsabilisation de l’individu et ne permettent pas une véritable mise en pouvoir d’agir. En plus de les culpabiliser, ils donnent aux utilisateurs une illusion de contrôle particulièrement néfaste pour la liberté et le consentement des individus » (p.148)
Le bad nudge est une technique visant à inciter l’utilisateur à prendre une décision allant à l’encontre de ses intérêts. Le bad sludge tend à l’empêcher d’agir selon son intérêt en créant une difficulté artificielle qui entrave sa liberté de choix (p.164)
Quand certains chercheurs affirment que 70% des vidéos sur le climat vues par les Américains sont climatosceptiques, à cause de l’algorithme de YouTube, cette entreprise devrait être contrainte par la loi à confirmer cette statistique ou à démontrer qu’elle est fausse. (p.175)
Le PIMS permet à l’utilisateur d’administrer ses données et de contrôler leur utilisation sans pour autant que celles-ci quittent le dispositif […] Par exemple, un individu disposant d’un PDMS doit pouvoir payer sa facture énergétique sans transmettre au fournisseur d’énergie sa consommation d’électricité détaillée […] Cela permet ainsi à l’individu de contrôler l’ensemble du cycle de vie de ses données personnelles, de leur collecte à leur destruction. Voir SOLID de Tim Berners-Lee.
En assurant la compatibilité de services de manière qu’ils puissent mutuellement échanger et exploiter des informations issues d’un autre service, cela pourrait avant tout constituer le moyen de faciliter le transfert des utilisateurs vers d’autres plateformes aux modèles d’affaires alternatifs, plus respectueux de l’attention des individus, sans pour autant perdre leurs liens sociaux et/ou l’accès aux contenus souhaités. (p.186)
Le droit au paramétrage permettrait à l’utilisateur de faire un seul paramétrage une fois pour toutes qui soit opérant sur toutes les plateformes, et d’y revenir seulement quand il le souhaite. À titre d’exemple, cela limiterait les demandes actuellement répétées des interfaces au même utilisateur de reconfigurer son choix de cookies à chaque visite (ou presque). (p.190) […] Ensuite lui offrir la possibilité d’accéder à un tableau de bord ergonomique au sein de ses paramètres récapitulant ses choix et permettant d’effectuer des réglages plus généraux. (p.191)
La DGAC emploie des techniques d’analyse des activités des contrôleurs aériens et des pilotes de manière à identifier des potentiels risques précurseurs aux accidents. Les méthodes LOSA pour l’aviation et NOOS pour le contrôle aérien se sont ajoutées aux méthodes de retour d’expérience REX classiques en facteur humains déployés pour conduire une analyse fine des activités des opérateurs (p.198).
CARTE D’IDENTITÉ DU LIVRE :
Titre : Pour une nouvelle culture de l’attention
Auteurs : Stefana Broadbent, Florian Forestier, Mehdi Khamassi, Célia Zlynski
Éditeur : Odile Jacob
Pages : 272
Année : 2024
ISBN : 978-24150-08017