Le sommeil est l’une des dimensions les plus importantes de notre vie et, paradoxalement, c’est aussi l’une des moins connues. Jusqu’à très récemment, la science était incapable de répondre à ces questions : pourquoi dormons-nous ? Quelles sont les conséquences du manque de sommeil sur notre santé ?
En agissant sur notre cerveau, le sommeil favorise nos capacités à apprendre, à mémoriser et à prendre des décisions logiques et rationnelles. Il réajuste nos émotions, réapprovisionne notre système immunitaire et règle avec précision notre métabolisme. Quant aux rêves, ils apaisent nos souvenirs douloureux et créent un espace de réalité virtuelle favorable à la créativité.
Traduit dans une trentaine de langues, Pourquoi nous dormons dévoile les dernières grandes découvertes sur le sommeil et les rêves, dont Matthew R. Walker nous explique l’importance vitale. Un livre capital.
Ce titre a reçu le Prix La Science se livre 2020.
Le Dr Matthew Walker a obtenu son diplôme en neurosciences à l’Université de Nottingham, au Royaume-Uni, et son doctorat en neurophysiologie au Medical Research Council, à Londres, au Royaume-Uni. Il est ensuite devenu professeur de psychiatrie à la Harvard Medical School, aux États-Unis. Il est actuellement professeur de neurosciences et de psychologie à l’Université de Californie à Berkeley, aux États-Unis. Il est également le fondateur et le directeur du Center for Human Sleep Science. Ses recherches portent sur l’impact du sommeil sur la santé humaine et la maladie. Il a reçu de nombreux prix et le financement de la National Science Foundation et des National Institutes of Health. Il est membre de la National Academy of Sciences. À ce jour, il a publié plus de 100 études de recherche scientifique.
I – CETTE CHOSE QUE L’ON NOMME « SOMMEIL »
II – POURQUOI FAUT-IL DORMIR
III – COMMENT ET POURQUOI NOUS RÊVONS
IV – COMMENT PASSER DES SOMNIFÈRES À UNE SOCIÉTÉ TRANSFORMÉE
Conclusion
Annexe
Autorisations concernant les figures
Remerciements
Nombre de pages
552
Langue
Française
Année de publication
2018
Éditeur
La Découverte
ISBN
978-2-266-28723-4
Que vient faire un livre sur le sommeil dans un blog dédié à la technologie ? Le lien qui unit sommeil et technologie est en réalité assez étroit. En effet, à mesure que la technologie s’immisce dans nos vies quotidiennes, accapare de plus en plus de notre temps – de manière plus ou moins volontaire -, le sommeil est en train de devenir la variable d’ajustement de nos distractions numériques. Le fondateur de Netflix, Reed Hastings, déclarait en 2017 à ses investisseurs que son principal concurrent était le sommeil… Une illustration parfaite des enjeux contradictoires et du désalignement entre des entreprises qui veulent capturer notre attention, une société du divertissement, et nos besoins physiologiques qui nous poussent à débrancher.
Cependant, l’ouvrage de Matthew Walker offre un panorama bien plus large que l’étude du seul impact des technologies numériques sur notre temps d’endormissement. Walker nous démontre à travers de très nombreuses études et recherches la manière dont nos sociétés négligent le besoin de sommeil des individus et ce qu’il faudrait mettre en place pour reprendre une bonne hygiène de vie (et de nuit).
L’auteur y développe également une théorie de l’évolution à la fois originale et passionnante. Notre passage des arbres au sol aurait entrainé chez l’homme une abondance de sommeil REM (voir les extraits ci-dessous) plus marquée que chez les autres primates, ayant à son tour entrainé une forte augmentation de la créativité cognitive, de l’intelligence émotionnelle, donc de la complexité sociale.
Pour nous convaincre de l’importance vitale de ne pas négliger son sommeil, l’auteur nous partage les bienfaits d’une bonne nuit de sommeil : il prolonge la durée de vie. Il renforce la mémoire et la créativité. Il nous rend plus attirant, vous permet de rester mince et d’éviter les fringales. Il vous protège du cancer et de la démence. Il repousse le rhume et la grippe, diminue les risques de faire une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral, sans parler du diabète. Et ce remède – confirmé par plus de dix-sept mille rapports scientifiques analysés – est 100% naturel et gratuit.
Un ouvrage absolument majeur que je recommande chaudement à tous les insomniaques, et les autres aussi.
Les deux forces déterminantes lorsqu’on cherche à être éveillé et à dormir – le système circardien de vingt-quatre heures et le signal de somnolence émis par l’adénosine – sont indépendantes, et elles peuvent être dégagées de leur synchronisme habituel.
Dans le scenario ci-dessus, notre volontaire va rester éveillé toute la nuit et toute la journée. À mesure que la nuit de privation de sommeil avance, le besoin de sommeil émis par l’adénosine (courbe du haut) s’élève progressivement, comme le niveau de l’eau qui augmente dans un évier bouché lorsqu’on laisse le robinet ouvert. Il ne descendra pas au cours de la nuit. C’est impossible, puisque le sommeil est absent.
Lorsqu’on reste éveillé, on empêche la purge d’adénosine que déclenche le sommeil, et le cerveau devient ainsi incapable de se débarrasser du besoin chimique de dormir. Les niveaux d’adénosine continuent de monter. Cela devrait signifier que plus longtemps vous êtes éveillé, plus vous vous sentez endormi. Or ce n’est pas le cas. Même si vous vous sentez de plus en plus endormi au cours de la nuit, atteignant un très faible degré d’éveil vers six heures du matin, vous prenez ensuite un second souffle. Comment cela est-il possible puisque les niveaux d’adénosine et le besoin de sommeil correspondant continuent d’augmenter ? La réponse réside dans votre rythme circadien de vingt-quatre heures, qui offre une brève période au cours de laquelle vous échappez à l’envie de dormir. Contrairement au besoin de dormir, votre rythme circadien se moque absolument du fait que vous soyez endormi ou éveillé. (p.58)
Les humains ne font pas que dormir ; ils suivent des cycles de deux sommeils bien distincts. Les deux chercheurs Kleitman et Aserinsky décident de nommer ces phases à partir de leurs caractéristiques oculaires : sommeil avec mouvement non rapide des yeux, ou sommeil NREM (non-rapid eye movement,) et sommeil avec mouvement rapide des yeux, ou sommeil REM (appelé également sommeil paradoxal). (p.71)
Le sommeil NREM a été découpé en quatre phases distinctes, nommées avec bien peu d’imagination phases NREM 1 à 4, dont chacune augmente en profondeur. Les phases 3 et 4 sont ainsi les plus profondes du sommeil NREM, la « profondeur » représentant ici une difficulté accrue à se réveiller par rapport aux phases 1 et 2.
Ce jeu de va-et-vient irrégulier entre sommeil NREM et sommeil REM permet de remodeler élégamment nos circuits neuronaux pour les mettre à jour pendant la nuit et gérer l’espace de rangement limité de notre cerveau. (p.86)
Lorsque votre cerveau passe de l’activité à fréquence rapide de l’éveil au mode plus lent et modéré du sommeil NREM profond, cette communication longue distance devient possible. Les ondes régulières, lentes et synchrones qui se répandent dans votre cerveau pendant le sommeil profond rendent possible la communication entre des zones éloignées du cerveau leur permettant de collaborer en échangeant leurs stockes d’expériences emmagasinées. (p.86)
Au contraire, l’activité cérébrale du sommeil REM est une réplique presque parfaite de celle qu’on observe pendant une veille attentive et alerte. Le cerveau semble éveillé mais le corps est clairement endormi. […] Comme c’est le cas lorsque vous êtes réveillé, la vanne sensorielle qu’est le thalamus s’ouvre de nouveau en grand pendant le sommeil REM, mais cette porte est alors d’une nature différente. Ce ne sont pas des sensations venues du monde extérieur qui sont autorisées à entrer pour se rendre vers le cortex. Plutôt, les signaux de vos émotions, motivations ou souvenirs (passées et présents) sont rejoués sur les grands écrans ds cortex visuel, auditif et moteur de votre cerveau. (p.88)
Une véritable transaction immobilière se produit chaque nuit lorsque nous dormons. À l’image des signaux de radio à onde longues transmettant des informations sur de grandes distances géographiques, les ondes cérébrales lentes du sommeil profond NREM servent de coursier transportant des blocs de souvenirs depuis un lieu de stockage temporaire (l’ hippocampe) jusqu’à un foyer plus sûr et permanent (le cortex). Le sommeil permet ainsi aux souvenirs de résister à l’épreuve du temps. (.185)
Une équipe de chercheurs de l’école de santé publique de l’université de Harvard a entrepris de mesurer les effets de ce changement radical sur la santé de plus de vingt-trois mille hommes et femmes grecs âgés entre vingt et quatre-vingt trois ans […] sur une période de six ans, au cours de laquelle la plupart des participants mirent un terme à leur pratique de la sieste. […] Au cours des six ans de durée de l’étude, le risque de mourir d’une maladie cardiaque a augmenté de 37% chez les individus ayant cessé de faire la sieste par rapport à ceux qui avaient maintenu cette pratique. (p.118)
Le sommeil est une caractéristique commune à tout le règne animal. On distingue toutefois au sein des espèces ou entre elles une variabilité remarquable dans la quantité (par exemple la durée), la forme (un hémisphère, deux hémisphères) et la structure (monophasée, biphasée, polyphasée). (p.119)
Si on compare notre sommeil à celui des singes de l’ancien et du Nouveau Monde, mais aussi des grands singes tels que les chimpanzés, les orangs-outans et les gorilles, le sommeil humain se démarque comme le nez au milieu de la figure. Notre temps total de sommeil (huit heures) est largement plus court que celui des autres primates (dix à qinze heures), mais nous jouissons pourtant d’une dose disproportionnée de sommeil REM, pendant lequel nous rêvons. 20% à 25% de notre temps de sommeil sont dédiées au sommeil REM, contre 9% en moyenne chez les autres primates ! […] Si nous voulons comprendre pourquoi et comment notre sommeil est si différent, il nous faut d’abord comprendre le processus évolutif ayant conduit du singe à l’homme, de l’arbre à la terre ferme. Les humains dorment uniquement par terre – allongés au sol, voire un pue au-dessus, sur un lit – , tandis que les autres primates dorment dans des arbres, sur des branches ou dans des nids. Il leur vient rarement à l’idée de quitter leur arbre pour dormir par terre. […]
Dormir dans les arbres était une sage idée de l’évolution, du moins jusqu’à un certain stade. C’était un moyen de disposer d’un lieu sûr pour se protéger des grands prédateurs terrestres, comme les hyènes ou les petits arthropodes suceurs de sang que sont les poux, les puces et les tiques. Il faut toutefois être prudent lorsqu’on dort six à quinze mètres au-dessus du sol. Si vous êtes profondément endormi, un peu trop détendu, avachi sur une branche ou dans un nid avec un membre qui dépasse, il n’en faut pas plus à la gravité pour vous attirer au sol, provoquant une chute mortelle qui vous rayera totalement de la carte du patrimoine génétique. C’est notamment vrai du sommeil REM, pendant lequel le cerveau paralyse tous les muscles volontaires de votre corps, vous laissant tout ramolli. (p.120)
Nous pensons que l’homo erectus – bipède, capable de marcher librement debout sur eux jambes – a également été le premier à dormir sur le sol, ses bras plus courts et sa posture droite ayant rendu très difficiles la vie et le sommeil dans les arbres. […] Il a été le premier à utiliser le feu, l’un des catalyseurs les plus importants, sinon le plus important, nous ayant fait descendre des arbres pour vivre sur la terre […] Mais le feu n’était pas la solution parfaite : il restait risqué de dormir au sol. C’est pourquoi sous la pression de l’évolution, nous avons développé une façon plus efficace de dormir. Plus l’homo erectus dormait efficacement, plus il avait de chances de survivre à la sélection naturelle. […] Dormir sur la terre ferme plutôt que sur une branche d’arbre précaire a poussé le sommeil REM à s’enrichir et se renforcer, et la durée de sommeil à diminuer modestement. […] Un sommeil REM, précipitant le cerveau vers une plus grande complexité et une plus grande richesse de connexions.
Chaque mois, nous décryptons l’actualité tech et son impact sur notre vie privée.
Partant de ces faits, je propose la théorie suivante : cette réorganisation du sommeil depuis les arbres jusqu’au sol a propulsé l’homo sapiens au sommet de la pyramide de l’évolution. Les êtres humains se distinguent des autres primates par au moins deux traits dont je suis persuadé qu’ils ont été bénéfiques et apportés par le sommeil , notamment par notre degré élevé de sommeil REM en comparaison avec les autres mammifères : en premier lieu, notre degré de complexité socioculturelle ; en second lieu, notre intelligence cognitive. Le sommeil REM et le fait de rêver encouragent les deux. […] De cette intelligence émotionnelle consolidée par le sommeil REM est née une forme nouvelle et bien plus sophistiquée de socio-écologie des hominidés au sein de bastes collectivités, permettant la création de grandes communautés humaines, émotionnellement avisées, stables, très liées et profondément sociales. (p.124)
Je fonde mon propos sur des exemples extraits de plus de sept cent cinquante études scientifiques consacrées au lien entre le sommeil et la performance, dont beaucoup concernent spécifiquement les athlètes professionnels et de haut niveau. Voilà ce qui se passe si vous dormez moins de huit heures par nuit, et a fortiori moins de six heures : le temps écoulé avant l’épuisement baisse de 10% à 30%, et l’aérobie diminue significativement. On observe des défaillances similaires en matière de force d’extension des membres et de hauteur des sauts, avec une baisse de la force musculaire par pics et en continu. Il faut y ajouter les défauts marqués de capacités cardiovasculaires, métaboliques et respiratoires des corps en manque de sommeil, dont l’accumulation plus rapide d’acides lactiques, une réduction de la saturation d’oxygène dans le sang et des montées inverses de dioxyde de carbone sanguin, en partie liées à une réduction de l’air que les poumons peuvent expirer. (p.209)
Tout aussi problématique, la remise à zéro. Une personne en manque chronique de sommeil pendant des mois ou des années s’habitue à la réduction de ses performances, de sa vivacité, de son degré d’énergie. Ce faible épuisement devient sa norme, ou sa base. (p.221)
Il n’y a pas d’examen final dans ma classe. Au lieu de cela, je découpe mes cours en trois pour que les étudiants n’aient à apprendre que quelques cours à la fois. De plus, les examens ne sont pas cumulatifs. C’est ce que l’on désigne en psychologique comme un effet de la mémoire infaillible, l’apprentissage en masse vs l’apprentissage espacé. (p.251)
Outre le temps plus long des trajets entre le lieu de travail et le domicile et la « procrastination du sommeil », liée à la télévision ou à la pratique de loisirs numériques jusque tard dans la soirée – deux activités qui ont à voir avec la fragmentation de notre temps de sommeil et de celui de nos enfants – , il existe cinq facteurs ayant fortement modifié la quantité et la qualité de notre sommeil :
C’est en raison de l’ensemble de ces contraintes sociales que beaucoup de personnes pensent à tort souffrir d’insomnie. (p.414)
Retardant la libération de mélatonine, la lumière artificielle nocturne rend plus compliqué de s’endormir à une heure raisonnable. Lorsque vous finissez par éteindre votre lampe de chevet, il vous est bien plus difficile de trouver rapidement le sommeil. Il faut du temps avant que l’augmentation du taux de mélatonine submerge votre cerveau et votre corps grâce aux fortes concentrations permises par l’obscurité. (p.418)
Par comparaison avec la lecture d’un livre papier, la lecture sur iPad fait diminuer de moitié la libération nocturne de mélatonine, décalant l’augmentation du taux de mélatonine jusqu’à trois heures par rapport à l’augmentation naturelle chez les mêmes individus lisant un livre sur papier. Avec la lecture sur iPad, leur pic de mélatonine, donc le signe qu’ils doivent dormir, ne se produit pas avant le petit matin, au lieu de survenir avant minuit. (p.477)
Il existe une organisation qui a pris conscience des bienfaits professionnels du sommeil depuis bien plus longtemps que les autres. Au milieu des années 1990, la NASA s’est intéressé à la science du sommeil au travail pour le bienfait de ses astronautes. Elle a découvert que des siestes de seulement vingt-six minutes offrent une amélioration des performances de 34% ainsi qu’une augmentation de la vigilance générale de plus de 50%. (p.477)
D’après les derniers sondages et études cliniques, on estime que plus de 50% des enfants diagnostiqués TDAH souffrent en réalité d’un trouble du sommeil, alors que seule une petite fraction de ces enfants ont connaissance de leur problème de sommeil et de ses effets. Les gouvernements devraient mener une campagne de sensibilisation, peut-être en dehors de l’influence des lobbies pharmaceutiques. (p.495)