Propagations de Dominique Boullier décrypte nos sociétés au travers d'une théorie sociale de la propagation

Couverture de l'ouvrage Propagations de Dominique Boullier qui décrypte nos sociétés au travers d'une théorie sociale de la propagation

La pandémie de Covid-19 a mis en évidence à quel point les processus de propagation affectent nos vies en profondeur. Mais elle révèle également l’existence conjointe d’une propagation d’un tout autre ordre : celle des informations, des consignes, des données, des rumeurs. Si ce paradigme de la propagation est déjà utilisé dans de nombreuses disciplines (des sciences naturelles ou sociales), il n’a cependant pas obtenu un statut spécifique.
Cet ouvrage, en faisant le tour d’horizon de tous les travaux qui adoptent ce point de vue, a pour ambition de montrer la fécondité d’une approche des sociétés sous l’angle de la propagation, à côté de l’analyse traditionnelle des structures sociales et des préférences individuelles.
En s’appuyant sur les méthodes du Big Data offertes par le numérique et la traçabilité généralisée de nos comportements, il propose une nouvelle façon de quantifier le social, comme processus de propagation, et non plus seulement à partir des recensements et des sondages. Cette première théorie sociale de la propagation, illustrée par de nombreux exemples (coronavirus et réseaux sociaux, ligue du Lol, mème Pepe the frog, MeToo, etc.) propose ainsi aux étudiants, aux chercheurs mais aussi aux décideurs et au public cultivé une nouvelle grille de lecture de la société : celle où l’individu est parcouru par des propagations diverses et variées qui vont l’habiter et le construire.

A propos de l’auteur Dominique Boullier:

Dominique Boullier est sociologue et linguiste, professeur émérite des universités en sociologie à Sciences Po Paris et chercheur au Centre d’Études Européennes et de Politique Comparée. Ses travaux sur les conditions techniques et institutionnelles de survie dans les univers numériques l’ont conduit à étudier les processus de propagation à haute fréquence sur les réseaux sociaux (notamment Twitter / X) et les sites de production de mèmes.

Table des matières de Propagations de Dominique Boullier :

Avant-propos et remerciements
Introduction

PARTIE 1 – EXTENSION DU DOMAINE DE LA PROPAGATION

Chapitre 1 – Quand les virus se propagent

Chapitre 2 – Quand les objets se propagent

Chapitre 3 – Quand la culture se propage

Chapitre 4 – Quand la valeur se propage

Chapitre 5 – Quand la rumeur se propage

Chapitre 6 – Quand les mouvements de foule se propagent

PARTIE 2 – UNE NOUVELLE ÈRE MÉDIATIQUE : LA PROPAGATION (AMPLIFIÉE PAR LE NUMÉRIQUE)

Chapitre 7 – Nouvelles traces, nouveaux calculs

Chapitre 8 – Nouveaux médias, nouvelles méthodes

Chapitre 9 – Nouveau rythme, nouvel espace public. Les enjeux du réchauffement médiatique

Chapitre 10 – Nouvelle économie, nouvelle surveillance

PARTIE 3 – LA PROPAGATION COMME TROISIÈME POINT DE VUE SUR LE SOCIAL

Chapitre 12 – Le pouvoir d’agir de la structure : Durkheim et Bourdieu

Chapitre 13 – Le pouvoir d’agir des préférences individuelles

Chapitre 14 – Les précurseurs de la théorie sociale de la propagation : la théorie de l’acteur-réseau et Tarde

Chapitre 15 – L’impossible synthèse

Chapitre 16 – Gouverner par temps de propagations

Manifeste perspectivisme et diplomatique pour les sciences sociales
Bibliographie
Index

Avis et critique de l'ouvrage "Propagations" de Dominique Boullier :

L’originalité et la pertinence de l’ouvrage de Dominique Boullier résident dans l’approche plurisectorielle de l’analyse. En effet, l’auteur propose une étude approfondie des propagations sous différents angles, qu’ils soient sanitaires (épidémies), sociétaux (rumeurs, mouvements de foules, risques de propagande, complotisme – voir l’ouvrage de David Colon) ou technologiques (innovation, virus informatique, mèmes, captologie…) pour élaborer sa théorie sociale des propagations.

L’auteur, pour illustrer la propagation à travers les objets revient sur l’exemple frappant du clavier Qwerty, qui loin d’être le plus ergonomique, est resté le standard dans le monde informatique. Cela n’est pas sans nous rappeler notre relation irrationnelle et notre manque de capacité critique à l’égard de l’utilisation de certains objets technologiques, décrits brillamment par Marcello Vitali-Rosati dans son « Éloge du Bug ».

L’auteur sensibilise également aux études de propagations qui seraient ainsi susceptibles d’attirer une attention très intéressée de la part des pouvoirs publics ou d’autres instances de surveillance. Nous ne sommes pas loin du fameux capitalisme de la surveillance théorisé par Shoshana Zuboff dans l’ouvrage du même nom.

Réduits au rôle de sismographes par les réseaux sociaux, nous sommes condamnés à réagir et amplifier les vibrations incessantes de l’actualité éditorialisée par des algorithmes.

Un ouvrage passionnant pour toute personne qui souhaite approfondir (plutôt sérieusement) ses bases théoriques en sciences sociales, revisiter les théories des grands sociologues (Bourdieu, Durkheim, Boudon, Tarde, Latour…) pour mieux expliquer et comprendre les mécanismes de propagations qui parcourent et remodèlent nos sociétés dans un monde toujours plus inter-connecté.

Extraits, concepts et idées ayant retenu mon attention dans le livre Propagations de Dominique Boullier

  • Nous sommes entrés dans l’ère des propagations, voilà l’argument principal de ce libre, et il faudra désormais accepter de penser aussi le pouvoir de ces propagations, qui affectent notre voisinage tout autant que la société (notre héritage) ou les préférences des individus (nos arbitrages). A vrai dire, il ne serait pas très difficile de montrer que ces propagations ont toujours existé : les épidémies, les rumeurs, les innovations,  […]. Ce qui a changé, c’est notre capacité à les suivre à la trace. Voilà ce qui m’a mis sur la piste de ce changement de paradigme ou plus simplement de point de vue : les traces innombrables que nous laissons sur les réseaux sociaux d’abord, puis toutes les traces de nos comportements que les états, les plateformes, les entreprises ou les hackers collectent sans nous demander notre avis le plus souvent, et aussi les traces très fines des microbes, des particules et de tout le système vivant au sein duquel nous visons sans prétendre pouvoir en être isolés. (p.10)
  • Approche sécuritaire de nos sociétés: Et lorsque les États tentent de le faire [surveillance pour raison sanitaire], au nom des impératifs de santé publique, les risques de surveillance permanente et intrusive deviennent vite insupportables en dehors de quelques périodes de crise. Car la traçabilité permanente de toutes nos relations avec notre environnement, de toutes nos actions et mises en situation à risque finit par devenir un allié de certains idéaux sécuritaires. (p.30)
  • La propagation du clavier Qwerty : Le clavier Qwerty est l’exemple type de l’innovation qui se diffuse massivement et se maintient, malgré toutes ses limites, jusque sur nos claviers tactiles de téléphones portables. Lorsque la firme Remington mit sur le marché cette première machine à écrire, vers 1870, la disposition des lettres sur le clavier devait ralentir la frappe, de façon délibérée, puisque les lettres les plus courantes des langues à alphabet latin furent placées du côté de la main gauche, la moins fréquemment utilisée par les Occidentaux. Ce choix contre-intuitif visait à éviter l’entremêlement des segments par des dactylographes performants. Mais ces « défauts » du clavier Remington auraient pu être subvertis en 1932 par l’invention par Dvorak d’un autre clavier, fondé sur une répartition plus ergonomique des charges sur les deux mains. Pourtant, cette « bonne idée »  si évidente et si rationnelle, ne parvint pas à se diffuser […]. On appelle cette situation une « dépendance de sentier »  qui réduit les chances d’une innovation, aussi géniale soit-elle. À tel point que, hors de toute contrainte de clavier physique, avec les écrans tactiles, alors que la plupart des utilisateurs de smartphones ont apris à taper avec leurs deux pouces, c’est pourtant la même convention du clavier Qwerty qui est maintenue. Cela en dit long sur la flexibilité des humains qui peuvent accepter des systèmes mal conçus du moment qu’ils reposent sur des habitudes et qu’ils sont standardisés (p.54)
  • Différences entre rumeurs pré-digitales et rumeurs digitales : La traçabilité et la calculabilité ; le rythme de propagation à haute fréquence, atteignant un point de bascule (tipping point) rapidement ; les supports des écrits et des images privilégiés par rapport à la propagation verbale ; la facilité de suppression, de dissémination, de stockage, et de falsification. Dans les deux cas cependant, le rôle des mass médias reste essentiel pour amplifier l’audience d’une rumeur. (p.122)
  • Le numérique contribue à amplifier la puissance de traçabilité et de calcul sur de nombreuses propagations, toutes déjà étudiées auparavant, que ce soit les virus avec la phylogénétique, les objets avec l’internet des objets, la culture avec les digital humanities, les valeurs avec les systèmes financiers de trading, les rumeurs avec les médias numériques et enfin les foules avec la vision des flux par ordinateurs. (p157)
  • Twitter, viralité et ligne éditoriale: Après avoir découvert dans une étude française (Gabielkov et al., 2016)   que 60% des posts retwittés n’étaient pas lus par ceux qui les retwittaient, Twitter a décidé le 11 juin 2020 de placer des recommandations de lecture pour ralentir la viralité. La plateforme introduit ainsi de la friction en obligeant de fait à entrer dans une posture de jugement et d’évaluation avant de poster et non plus de simple réactivité à un stimulus. Or, tous ces éléments sont pourtant poussés encore plus par la même plateforme lorsqu’elle utilise ces hashtags pour calculer les trending topics. Cette mesure ne porte pas sur la popularité d’un tweet ou d’un émetteur mais sur l’accélération, et seulement sur ce déclenchement, ce point de bascule qu’on appelle aussi le tipping point (Gladwell, 2001) d’un thème, identifié par ses hashtags. Le rôle prescriptif de ces trending topics auprès des journalistes eux-mêmes est désormais bien documenté car ils servent de veille sur tout sujet émergent, ce qui in fine encourage une hiérarchie des sujets non plus d’un point de vue éditorial classique mais du point de vue d’un pur effet de viralité, détecté et amplifié par des algorithmes. La propagation calculée tient ainsi lieu de ligne éditoriale collective. (p.161)
  • Nous sommes devenus des sismographes: Et l’immense majorité des citoyens, même s’ils ne sont pas sur Twitter, doivent suivre la cadence, car cette haute fréquence s’impose à tous les médias qui polarisent la discussion collective. Tout abonné aux alertes d’un média ou tout utilisateur de Facebook suivant un nombre significatif d’amis (disons 50) se trouvera de fait exposé aux retombées de ces vibrations pourtant limitées, croit-on, à un cercle du pouvoir. Nous sommes devenus des sismographes disait Pierre Lé&vy (1997), typiques d’une mesure de la haute fréquence qui suit aussi les répliques, ce qui ne doit pas être confondu en sismologie avec la tectonique des plaques (longue durée) ou avec  la volcanologie ‘les cycles des éruptions). Sa métaphore visait juste, car nous ne faisons que réagir en permanence à ces vibrations incessantes, en les amplifiant cependant par nos réactions mêmes (p.162)
  • Compétition de l’attention et gatekeepers / journalistes: Dans les trois temps du journalisme, la dépêche, les news et l’investigation, la compétition pour l’attention pousse à privilégier largement le temps de la dépêche. Certes, les médias indépendants peuvent s’autoriser des formats longs, des investigations avec des enquêtes de plusieurs mois, fondées de plus en plus sur des données (Parasie, 2022), exploitées parfois par des consortiums internationaux qui permettent de tout vérifier (ndlr : voir l’excellente investigation de Richard et Rigaud sur l’affaire Pégasus avec un consortium international chargé de validé les informations). Mais les médias qui vivent de la publicité avant tout, eux, ne sont plus que des produits d’appel à l’attention. Dès lors, la pression pour des formats courts s’est étendue partout. La tendance à reproduire ce qui circule sur les réseaux sociaux et qui a déjà attiré de l’audience se développe, dans les médias majeurs eux-mêmes, ce qui a pour effet non pas de donner de la notoriété au médiateur qu’est le journaliste mais aux sources originelles sur le web, quand bien même ce sont des vidéos à scandale (dites « putaclics ») ou des fake news. (p.185)

Caractéristique de l'ouvrage Propagations de Dominique Boullier

Titre : Propagations, un nouveau paradigme pour les sciences sociales
Auteur :  Dominique Boullier
Éditeur : Armand Colin
Pages : 320
Année : 2023
ISBN : 978-2200-629908

 

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